14 Mai 2020
Les acteurs du prêt face au covid-19 : entre risques et opportunités [1/2]
Comment les Fintechs feront-elles face à la crise économique qui s’annonce ? Le coup d’arrêt à l’investissement sera-t-il durable ? Les réponses seront différentes segment par segment, métier par métier. La Place Fintech les examinera tour à tour dans les semaines à venir. Ce quatrième volet sera consacré aux acteurs du prêt, en mêlant tendances observées et interviews de terrain auprès de startups françaises, B2B et B(2B)2C. Passé le choc des premières semaines, les entreprises sont nombreuses à se tourner vers les acteurs du prêt, qui se retrouvent de fait aux premières loges pour constater les dégâts. Dans une situation pareille, il ressort que ces acteurs constituent des maillons complémentaires, bien plus que concurrents, de la chaine du financement pour les entreprises.
Parmi la myriade d’annonces promulguées par le gouvernement depuis le début de la crise, celle qui a peut-être eu le plus d’impact sur l’économie française concernait la mise en place du Prêt Garanti par l’Etat, pour laquelle 300 milliards d’euros ont été débloqués dès la fin du mois de mars. Derrière cette mesure inédite, se trouve la promesse faite par Emmanuel Macron le 16 mars dernier, selon laquelle « aucune entreprise, quelle que soit sa taille, ne sera livrée au risque de faillite ». Dans de pareilles circonstances, la lumière est tout à coup projetée sur les solutions qui permettent aux entreprises d’accéder à des capitaux.
La Place Fintech a rencontré trois acteurs, très variés, qui officient dans des secteurs différents et occupent une place spécifique sur la chaine de valeur du crédit. Parce qu’elles travaillent pour la plupart avec des banques et des organismes de prêt, ces fintechs se trouvent au premier rang de la bataille qui s’engage désormais pour sauver l’économie toute entière. Parmi elles, Onbrane, plateforme qui a pour ambition de digitaliser le marché de la dette pour les grandes entreprises ; Virgil, startup qui veut démocratiser l’accès à la propriété en repensant le prêt immobilier ; et Algoan, plateforme B2B qui permet aux banques et aux organismes de crédit de mieux cibler le profil de leurs clients.
« Les banques ont construit des forteresses dans lesquelles elles ne peuvent plus entrer »
« Le marché de la dette s’est grippé » commence Pascal Lauffer, CEO d’Onbrane, « plus personne ne veut prêter, tout le monde se rétracte ». Pour ce passionné de blockchain qui a créé il y a deux ans une plateforme pour faciliter les transactions sur le marché primaire de la dette, les réactions de repli provoquées par la crise chez les acteurs du financement posent autant de risques que la crise elle-même. « D’un point de vue commercial, le contexte actuel est problématique pour nous, mais seulement à court terme » explique Pascal Lauffer. Dans ce qui ne constitue que le premier temps de la crise, leurs clients se retrouvent en effet concentrés sur la problématique de poursuite de leur activité en dehors de leurs locaux sécurisés. Citant à l’appui l’exemple d’un trader d’une grande banque française, le CEO d’Onbrane schématise la situation de manière imagée : « Les banques ont construit des forteresses et ne peuvent plus entrer dedans pour continuer à faire leur travail ». Les changements forcés (confinement, télétravail) qui s’opèrent requièrent toute l’attention de ces acteurs, ce qui explique que la fintech perde six mois d’un point de vue commercial. Mais pour le dirigeant d’Onbrane, il y a aussi un effet positif à cette crise, à moyen terme : « Dans le même temps, nos clients réalisent que le fait d’avoir une solution développée sur le cloud comporte bien des avantages ». La promesse de la startup, qui consiste à digitaliser le marché des « commercial papers », marché de gré à gré qui permet aux plus grandes entreprises françaises d’emprunter rapidement des sommes colossales, trouve ainsi un nouvel écho. « Cette crise a eu le mérite de faire saisir à nos clients la valeur que nous créons pour eux, et la nécessité de virtualiser le plus possible ces opérations financières », reconnaît Pascal Lauffer. Une prise de conscience qui ne sera pas éphémère d’après le dirigeant : « Quand les gens vont faire les comptes, ils prendront conscience que le système est dépassé d’un point de vue technologique, et qu’il pèche par son extrême concentration et sa centralisation à outrance ». Chez Onbrane, on espère que la blockchain pourra servir à ré-imaginer une société plus locale et plus décentralisée. « Mais pour que cela fonctionne, notre plateforme ne suffira pas » admet le CEO : « Il faudra que l’écosystème entier des émetteurs de dettes, des intermédiaires et des investisseurs adhère à cette vision décentralisée ». A bon entendeur…
« En 2008, on aurait aimé que le gouvernement fasse ce qu’il fait aujourd'hui pour les entreprises »
Même constat sur un tout autre marché : celui de l’immobilier. Virgil a été lancé par Keyvan Nilforoushan, ancien deputy CEO de Onefinestay, équivalent d’Airbnb pour des logements de luxe racheté par Accor en 2016 pour 150M d’euros. Né du constat qu’il devenait impossible à des primo-accédants sans apport familial d’acheter un logement à Paris, Virgil a pour ambition d’accompagner ses clients dans l’achat d’un bien immobilier en leur fournissant une partie du capital en échange d’un pourcentage de la propriété. Ainsi, Virgil peut contribuer jusqu'à 10% de l’apport, pour une somme pouvant représenter jusqu'à 100 000 euros, contre 15% de détention du logement au moment de la revente.
Pour cette jeune startup, créée courant 2018 et qui a levé 2,1 millions d’euros en novembre dernier, la crise a marqué un coup d’arrêt des opérations avant même leur lancement, prévu initialement pour avril. « Si le marché immobilier doit décliner dans le court terme, cela nous bénéficierait puisque que nous commençons juste à déployer notre capital », relativise Keyvan Nilforoushan. Pour autant, l’entrepreneur au passé de financier constate que l’ensemble de la chaîne d’acteurs n’a pas réagi de la même façon à la crise. Les deux acteurs qui ont été contraints de stopper leur activité sont ceux qui se trouvent en aval de la chaîne d’opération immobilière : les notaires, pour qui il est difficile de continuer à opérer, et les banques, dont les systèmes de sécurité empêchent souvent les conseillers de se connecter en télétravail. Le moment crucial de toute opération d’achat immobilier, à savoir la visite, a dû être totalement interrompu à cause des impératifs de distanciation physique.
En revanche, le CEO de Virgil constate une recrudescence, en amont de la chaine, des demandes entrantes de clients potentiels. « Les gens ont profité d’être chez eux pour se demander s’ils allaient acheter », avance Keyvan Nilforoushan pour rendre compte de la traction récente qu’il observe. Preuve que la proposition de valeur de Virgil fait mouche, même en ces temps compliqués. Est-il inquiet pour le futur ? Celui qui a vécu la crise financière précédente de plein fouet « aurait aimé que le gouvernement fasse en 2008 tout ce qu’il fait aujourd'hui pour aider les entreprises ». Et espère « de tout cœur » que l’argent déployé aujourd'hui de manière paritaire n’aura pas pour seul effet de retarder l’effondrement de certaines entreprises. Mais l’entrepreneur n’est pas inquiet à terme, manifestant plutôt sa confiance dans le courage des chefs d’entreprises : « Certaines startups vont devoir prendre des décisions difficiles, je sais qu’elles sauront les prendre ». Virgile le poète n’aurait pas mieux dit.
« La crise du covid-19 crée un nouveau cas d’usage pour notre solution »
Chez Algoan, startup française lancée en 2018 qui fournit aux banques des solutions pour faciliter l’accès au crédit, l’activité est évidemment impactée par la crise. L’octroi de crédit à la consommation, qui constitue pour le moment le cœur de métier des clients d’Algoan, est en effet en chute libre depuis le début de la crise sanitaire. Malgré tout, le business model SaaS de la startup lui permet d’assurer un minimum de revenus récurrents, explique Michaël Diguet, co-fondateur et CEO de la fintech. Le principe de son algorithme est de se baser sur les transactions bancaires de la personne qui veut emprunter, dans le cadre de l’Open Banking dicté par la directive européenne DSP2, afin de déterminer la capacité de cette personne à rembourser son crédit. L’innovation est double, en terme de technologie et d’expérience client : elle porte d’une part sur la manière de « scorer » le risque, au moyen d’algorithmes de régression logistique, et d’autre part sur l’interface utilisée par le client final pour faire sa demande de crédit (via un chatbot).
La population principalement visée par Algoan à travers ses partenariats avec les organismes prêteurs ? « Toutes les personnes qui se retrouvent discriminées lorsqu’elles demandent un crédit à leur banque, dont la décision d’octroi dépend essentiellement de critères sociodémographiques », résume Michaël Diguet. Dans les faits, les principaux concernés sont les jeunes, les célibataires locataires et toutes ceux qui ne disposent pas d’un CDI robuste. Ce que prédit le CEO comme effet de la crise à venir ? « Les banques anticipent un choc du risque ; avec le chômage partiel généralisé, elles anticipent des difficultés de remboursement des crédits. » Ce qui explique, pour Michaël Diguet, qu’elles changent de focus, passant de l’octroi de crédit à l’accompagnement dans le remboursement, alors qu’elles se trouvent débordées par les demandes clients de report d’échéances.
C’est précisément sur ce crédo qu’Algoan a une carte à jouer : « Nos technologies peuvent aider les banques à mieux conseiller leurs clients pour établir de nouveaux plans de remboursement », confie le CEO de la startup avec enthousiasme. Grâce à l’accompagnement des membres de son conseil d’administration, réuni dès le début de la crise, l’équipe d’Algoan a produit en deux semaines une première version du produit destiné à ce tout nouveau cas d’usage, qui pourrait permettre à la startup de maintenir les résultats initialement prévus pour 2020. « On n’est pas en train de pivoter, anticipe Michaël Diguet, on expérimente simplement un nouveau cas d’usage de notre technologie, adapté au contexte actuel ! ».
Un constat commun : les limites du télétravail
De la même façon, il n’y a pas eu de pivot complet vers le télétravail : même si son implantation a été relativement facile, le CEO a hâte de retrouver son équipe dans ses bureaux physiques. Les sessions de jeux de société quotidiennes et les apéritifs virtuels ne suffisent pas : « J’ai besoin de voir mes collègues autrement que derrière un écran, pour sentir leur énergie ! ». Sur ce dernier point, tous les entrepreneurs interrogés convergent : le télétravail a ses limites, tout comme les interactions virtuelles. C’est ainsi que chez Onbrane, on a repris progressivement le travail en présentiel dès la dernière semaine d’avril. Quant à Virgil, dont l’ambition est de délivrer une expérience humaine « à l’échelle », le maintien de l’interaction physique avec le client apparaît d’autant plus nécessaire en cette période de confinement.
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