Stablecoin : vers une adoption record
Portés par la régulation, la demande institutionnelle et la dynamique des marchés émergents, les stablecoins pourraient devenir, d’ici 2030, l’un des piliers de la finance numérique mondiale.
Selon un rapport publié récemment par Citi Group, les stablecoins sont en passe de connaître une phase d’expansion comparable à celle qu’a connue l’intelligence artificielle avec ChatGPT. Pour la banque américaine, l’année 2025 pourrait marquer un tournant décisif pour ces actifs numériques indexés sur des monnaies traditionnelles comme le dollar. Dans le scénario le plus optimiste, leur capitalisation globale pourrait atteindre 3 700 milliards de dollars à l’horizon 2030, contre environ 230 milliards aujourd’hui.
Une régulation désormais favorable
Longtemps freinée par l’incertitude réglementaire, l’adoption des stablecoins bénéficie désormais d’un environnement plus clair. Aux États-Unis, un décret présidentiel signé en début d'année a posé les bases d’un cadre fédéral pour les actifs numériques. En Europe, le règlement MiCA adopté par l’Union européenne définit les exigences en matière de réserves, de transparence et de supervision pour les émetteurs. Ces évolutions sont jugées décisives par Citi, qui estime que la stabilité juridique va encourager l’entrée de nouveaux acteurs institutionnels.
Dans ce contexte, les émetteurs historiques comme Tether (USDT, 145 Md$) et Circle (USDC, 60 Md$) pourraient être rejoints par des initiatives bancaires, des consortiums public-privé ou des modèles hybrides, à l’image de ce qui s’est produit dans l’industrie des paiements par carte. Le rapport anticipe une coexistence entre quelques émetteurs dominants mondiaux et des stablecoins à vocation nationale ou régionale.
Des cas d’usage en pleine diversification
À ce jour, les stablecoins sont principalement utilisés dans les échanges de cryptomonnaies et la finance décentralisée. Citi estime que 95 % des volumes actuels sont liés à ces activités. Mais la dynamique est en train de changer. Le rapport prévoit une forte croissance dans les paiements transfrontaliers, les transferts de fonds, les règlements entre entreprises et la gestion de trésorerie institutionnelle.
Dans les pays émergents comme l’Argentine, le Nigeria ou la Turquie, les stablecoins sont de plus en plus utilisés pour se protéger contre l’inflation ou les restrictions monétaires. Leur adoption grandit aussi dans les corridors de remises migratoires, où ils offrent une alternative moins coûteuse et plus rapide que les canaux traditionnels.
Côté entreprises, des gestionnaires d’actifs, des banques et des fintechs testent déjà des flux de règlement basés sur des stablecoins pour des fonds, des opérations de repo ou des règlements interbancaires. Cette transition s’accompagne d’une intégration progressive des stablecoins aux infrastructures financières existantes.
Une pression croissante sur les bons du Trésor américain
Le rapport de Citi souligne que la montée en puissance des stablecoins pourrait modifier la structure même des marchés de la dette. En exigeant que les tokens soient adossés à des actifs liquides et sans risque, la réglementation pousse les émetteurs à investir massivement dans les bons du Trésor américain.
Dans son scénario de base, Citi estime que les émetteurs de stablecoins pourraient détenir jusqu’à 1 200 milliards de dollars de dette fédérale d’ici à la fin de la décennie — soit davantage que les avoirs combinés de la Chine, du Japon ou de l’Europe. Cette nouvelle source de demande pourrait renforcer la dépendance du Trésor américain vis-à-vis des marchés crypto, avec des implications encore peu explorées sur le plan monétaire et géopolitique.
Des risques persistants
Malgré cette dynamique prometteuse, le rapport pointe plusieurs facteurs de vulnérabilité. Les épisodes de dé-collatéralisation (de-peg) restent fréquents : plus de 1 900 cas ont été recensés en 2023, dont plus de 600 impliquant les plus gros stablecoins. En cas de perte de parité prolongée, la confiance des utilisateurs pourrait s’éroder rapidement, entraînant des vagues de rachats et des chocs de liquidité.
Par ailleurs, certains pays, notamment ceux craignant une dollarisation rampante, pourraient interdire ou restreindre l’usage de stablecoins libellés en dollars. Le FMI a plusieurs fois alerté sur le risque de voir les monnaies locales marginalisées dans des économies où les contrôles de change sont stricts.
Enfin, les stablecoins devront surmonter les obstacles d’intégration technique, de gouvernance et d’interopérabilité. Les cas de figure où des réseaux bancaires utilisent directement l’infrastructure stablecoin — à l’image du projet Progmat de MUFG au Japon — restent l’exception.
Une adoption en ligne avec les ambitions du secteur
La croissance projetée par Citi reste prudente au regard des ambitions des acteurs du secteur. Circle, par exemple, a noué des partenariats avec de grandes banques comme BNY Mellon ou Standard Chartered pour renforcer l’adoption institutionnelle de l’USDC. De leur côté, les plateformes comme Coinbase et Binance partagent déjà une partie des revenus générés par les stablecoins avec leurs partenaires de distribution.
Dans son scénario haussier, Citi envisage que 90 % des stablecoins en circulation en 2030 seront toujours adossés au dollar, consolidant l’hégémonie monétaire américaine tout en redéfinissant les modalités de son expression numérique. En comparaison, les monnaies numériques de banques centrales (CBDC), même en développement dans de nombreux pays, peinent encore à sortir des phases pilotes.
En somme, les stablecoins apparaissent aujourd’hui comme le vecteur le plus mature d’adoption de la blockchain à l’échelle mondiale. Leur succès dépendra de leur capacité à conjuguer simplicité d’usage, transparence financière et conformité réglementaire. Pour l’instant, les conditions semblent réunies pour qu’ils franchissent un cap décisif.