La dette américaine entre dans la DeFi
VanEck lance un fonds de bons du Trésor américain entièrement tokenisé, réservé aux investisseurs institutionnels et accessible sur plusieurs blockchains.
La société de gestion d’actifs VanEck a annoncé le mi-mai le lancement du VanEck Treasury Fund (VBILL), un fonds monétaire adossé à des bons du Trésor américain, dont les parts sont émises et transférées sous forme de tokens sur plusieurs blockchains publiques. Le projet est mené en partenariat avec la plateforme américaine Securitize, qui prend en charge l’ensemble des opérations techniques et administratives, de la tokenisation à la tenue de registre.
Le fonds, domicilié dans les îles Vierges britanniques, vise exclusivement des investisseurs qualifiés ou institutionnels. Le montant minimum de souscription est de 100 000 dollars pour les blockchains Avalanche, BNB Chain et Solana, et d’un million de dollars pour Ethereum. Pour garantir l’interopérabilité entre réseaux, le fonds s’appuie également sur le protocole Wormhole.
Un usage limité mais stratégique pour l’écosystème crypto
L’arrivée de VBILL s’inscrit dans une tendance plus large d’intégration d’actifs financiers traditionnels dans l’environnement blockchain. Il ne s’agit pas du premier fonds tokenisé adossé à des bons du Trésor : BlackRock a déjà lancé en mars 2024 son propre fonds, BUIDL, également en partenariat avec Securitize. Celui-ci a attiré en quelques mois plus de 2,9 milliards de dollars d’encours, dont près des trois quarts proviennent de deux émetteurs de stablecoins, Sky et Ethena, cherchant à optimiser la gestion de leurs réserves.
Dans cette logique, VBILL s’adresse principalement à des acteurs issus de la finance numérique, notamment les entreprises crypto disposant de trésorerie excédentaire ou souhaitant se conformer à des exigences réglementaires croissantes en matière de qualité des réserves. Le produit leur permet de disposer d’un actif liquide, disponible 24 heures sur 24 grâce à une émission automatisée via des stablecoins comme l’USDC.
Vers une convergence progressive entre finance traditionnelle et numérique
L’intérêt croissant pour les fonds monétaires tokenisés reflète un mouvement plus large d’expérimentation des infrastructures financières par la technologie blockchain. Outre les acteurs de la crypto, des régulateurs comme la Commodity Futures Trading Commission (CFTC) et des opérateurs historiques comme le Chicago Mercantile Exchange (CME) ont récemment lancé des programmes pilotes sur l’utilisation d’actifs tokenisés comme collatéraux ou instruments de règlement.
Dans ce contexte, les bons du Trésor apparaissent comme une classe d’actifs idéale : sûrs, standardisés et massivement utilisés dans les opérations de refinancement. En les rendant accessibles sous forme de tokens, des acteurs comme VanEck espèrent faciliter leur intégration dans des processus décentralisés, tout en répondant aux exigences de transparence et de sécurité.
Un marché encore balbutiant, dominé par les géants
Si les initiatives se multiplient, le marché reste pour l’instant restreint et dominé par quelques grands gestionnaires d’actifs. Outre VanEck et BlackRock, d’autres projets ont vu le jour sous l’impulsion de startups comme Ondo Finance, Superstate ou Circle via sa filiale Hashnote. Ces structures cherchent à structurer une offre de produits financiers numériques, souvent à destination d’un public institutionnel encore prudent.
Pour les investisseurs particuliers, l’accès à ces instruments reste pour l’heure limité. Les barrières à l’entrée, les contraintes réglementaires et les risques opérationnels freinent une démocratisation rapide. Néanmoins, les initiatives actuelles posent les bases d’une infrastructure qui pourrait, à terme, s’ouvrir à un public plus large, notamment via des plateformes d’investissement tokenisées ou des fonds cotés adossés à des actifs numériques.
Des enjeux techniques et juridiques encore ouverts
La tokenisation de fonds pose également des questions techniques et juridiques non résolues. La conservation des titres, la validité juridique des enregistrements sur blockchain, ou encore la reconnaissance transfrontalière des droits associés aux tokens représentent autant de défis pour les gestionnaires et les régulateurs.
Le choix d’implanter VBILL dans les îles Vierges britanniques illustre cette complexité. Cette juridiction permet une certaine souplesse réglementaire, mais limite aussi l’accès à certains investisseurs selon leur pays d’origine. En parallèle, la multiplicité des blockchains utilisées rend plus difficile l’uniformisation des règles de fonctionnement, même si l’usage de ponts comme Wormhole tente de compenser cette fragmentation.
Dans ce paysage en recomposition, le lancement de VBILL témoigne d’une volonté d’expérimenter de nouveaux formats de gestion de trésorerie, à la croisée de la finance traditionnelle et des infrastructures décentralisées. Si son succès dépendra de l’appétit des institutions pour ces nouvelles modalités, il marque une étape supplémentaire dans l’intégration de la blockchain aux marchés financiers classiques.